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« 11 septembre 1980 (jeudi). – Rêve cette nuit : je suis sur une plage où semblent déambuler des gens, pas très identifiables. Enfin, ils sont autour de moi et ils chuchotent en passant tout contre moi : ‘Une aile de cygne, regardez cette belle aile de cygne’. Et moi je lève les yeux et je vois que je suis sous une gigantesque patte avant de tortue, reliée à rien, ni corps ni rien d’autre, simplement la pointe est posée sur le sable et l’ensemble monte obliquement vers le ciel, à 45°. Je trouve étrange que les gens ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’une patte de tortue (…)
« 25 novembre 1982 (jeudi). – Tard dans la nuit je fais un rêve dont la précision me réveille. Mais je ne regarde pas l’heure, je vois simplement les choses à leur place, j’éclaire dans le couloir et je descends boire un verre d’eau. J’étais simplement au milieu d’un paysage, après différents épisodes de bataille ou de bagarre, je ne sais plus, en tout cas c’était très agité. Et tout à coup, j’étais là immobile et debout et j’attirais l’attention d’une autre personne, un homme je crois, je me déplaçais en le tirant par le bras légèrement vers la gauche de cet écran nocturne inopiné et je lui montrais un grand plan incliné de végétation brillante qui montait devant nous jusqu’à une sorte d’horizon situé à une trentaine de mètres et couronné d’arbres. C’était comme une sorte de versant de prairie verte qui étincelait dans la lumière. Mais ce qui apparaissait comme vraiment extraordinaire c’était l’invraisemblable quantité de papillons de toutes tailles, de toutes couleurs, tous immobiles et piqués comme sur un décor, qui constellaient les herbes et les petits buissons. Dans mon émerveillement muet, je ne manquais pas cependant de remarquer que les insectes étaient regroupés par espèce et par taille, les plus grands, surtout rouge et jaune vifs, étant placés plutôt à mi-pente, les plus petits, les bleus de la campagne et les presque transparents de la montagne au printemps, vers le bas et vers l’extrême haut de mon champ visuel. Tout cela d’un détail fou et embrassé par un seul coup d’oeil, à tous les degrés possibles de la pénétration de mon regard. À ce moment-là deux silhouettes, sans doute des hommes, apparaissent au milieu de cet enchantement. Ils s’arrêtent et prennent la pose au centre des insectes. Ils sont habillés de salopettes vertes un peu comme des mannequins de haute couture homme, déhanchées chacun d’un côté. Ils tiennent quelque chose qui a la forme d’une mitraillette mais je n’en suis pas sûr, en tout cas ils ne braquent rien vers moi. Ils ont ça simplement contre leur hanche, dans une attitude négligée. Et puis, ils s’effacent et sont remplacés par une figure de la mort, un squelette, mais habillé de couleurs, et avec une faux, mais dans la même attitude que les mannequins précédents. Et lui aussi me regarde, sans faire de geste, lui aussi piqué à mi-pente au milieu des papillons de toutes les couleurs (…) »
Denis Roche