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Nathalie Manceaux. Présent, 22 février 1997
« La dualité suave d’Iscan »

« (…) C’est peut-être la transparence qui pourrait le mieux définir sa peinture. Non pas que tout soit clair et net. Au contraire, les passages flous abondent dans son oeuvre ! Mais c’est la lumière qui transparaît. Elle semble émaner de la toile elle-même, tant on ne sait pas d’où elle vient.
« Ce n’est pas une lumière ‘logique’. Elle n’est pas organisée par une fenêtre dans un intérieur, ou par les rayons du soleil sur un paysage. Elle est à la fois mystérieuse et évidente. Le plus souvent elle irradie l’arrière-plan du tableau (comme chez Watteau), telle une espérance vers laquelle on tend (…)
« L’imprégnation ‘classique’ d’Iscan est évidente. Il l’interprète en donnant à ses tableaux une lumière improbable mais aussi un mélange de flou et de net. Comme une inquiétude et une espérance mêlées (…)
« Iscan affronte les moments flous, brossés et rebrossés sur un enduit classique lui aussi d’ocre et de blanc, et les instants de clarté nette, au centre du tableau.
« Cette dualité, il la souligne souvent, dans les paysages, en encadrant un ton au-dessus, d’un coup de pinceau précis, la composition. Ce n’est pas une vision de la nature, c’est sa vision. »

Josette Mélèze. Pariscope, 19-25 février 1997
« Ferit Iscan : faire taire le silence »

« En 1981, au cours d’une interview, Ferit Iscan, interrogé sur sa façon de travailler, répondait : ‘La toile blanche, exaspérante, bien sûr ! Il fait faire taire ce silence’.
(…) Aussi figuratives que puissent paraître les peintures d’Iscan, notamment ses paysages, elles appartiennent à une réalité transfigurée par une sensibilité trop vive, trop secrète pour s’avouer dans la spontanéité de l’émotion. Il la passait au crible du temps, du ‘désir et de l’angoisse’ (…)
« Il a découvert la région du Lot, la transparence de l’air, les méandres de l’eau courante où il aime pêcher la truite et le brochet, les insectes (Présences indéfinies, Présences végétales, Présences aquatiques, Présences animales) qui s’y métamorphosent, les berges qui retiennent les racines ou qui s’effritent en cailloutis (…) Ce qui ne l’empêche pas, car il travaille plusieurs toiles en même temps, de peindre en nature morte les objets de son atelier, de chercher le mouvement flou du modèle qui passe le long d’une table chargée de matériel à peindre. Vous avez dit ‘modèle’ ? Iscan voudrait peindre des ‘figures, des visages, des portraits’. Il en repousse l’expérience et revient à sa chère Dordogne dont il ne se lasse pas d’apprivoiser la dense diversité. Et ces paysages (Paysages) (…) jouent avec volupté de verts précieux, parfois bleutés, parfois ocrés, qui construisent la lumière à perte d’horizon. Une lumière tendrement attentive que le temps n’éteindra pas ».

Pariscope, 12 février 1997
« Comme un fleuve qui passe… »

« Il semblait bâti pour vivre centenaire… La mort l’a foudroyé à cinquante-cinq ans, le 3 mars 1986.
« ‘À l’apogée de son art’, ont pu dire beaucoup de ceux qui avaient décelé son talent à ses débuts et qui connaissaient bien son oeuvre pour l’avoir suivie d’année en année à travers ses expositions successives. Mais il n’est pas sûr que Ferit Iscan eût souscrit à cette analyse exhaustive. Car, face à cet art, il se remettait sans cesse en question depuis plus de trente ans (…)
« Sous une apparence nonchalante, Ferit avait une grande capacité de travail. D’un naturel optimiste, il lui arrivait pourtant de douter (…) Quelques temps avant sa mort, il avait travaillé pendant plusieurs mois sur un thème nouveau, très éloigné de ses plus récentes sources d’inspiration : Paris et ses rues. Dans son atelier, une trentaine de toiles étaient terminées, prêtes pour une prochaine exposition dans une grande galerie parisienne. Une symphonie de gris et de bleus… Un enchantement… Mais, peu à peu, le doute commença à faire son chemin dans l’esprit de Ferit, et finalement il renonça à exposer ces toiles : il ne s’estimait pas prêt…
« La peinture était sa passion. Il aimait aussi la vitesse – les gros « cubes » et les ‘torpédos’ -, le jeu – des tapis verts des cercles privés ou familiaux à ceux de Longchamp et d’Auteuil -, la pêche au lancer – à la truite et au brochet -, où il excellait. Très cultivé, il avait aussi un grand amour de tout ce qui touchait à la nature (à ce que l’on appelait autrefois au lycée ‘les sciences naturelles’) dont il connaissait mille secrets : les saisons, les étoiles, l’eau, la forêt, les plantes, les oiseaux, les mammifères, les insectes… Tant de raisons d’aimer la vie » (Présences indéfinies, Présences aquatiques, Présences animales, Présences végétales).

Jean-Jacques Lévêque. Distance, mars-avril 1988
« Ferit Iscan. Disparu il y a deux ans, il était l’un des peintres les plus talentueux de sa génération »
« La biographie d’Iscan commence à Trieste, où il naquit, en 1931, dans une Italie toute remuée par les ambitions fascistes qui y font la loi. D’origine turque, enfant gâté d’une famille qui suit le cours de l’Histoire, il se réfugie à Paris à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La vie traquée et périlleuse de l’Occupation. Paris n’est pas le havre espéré quand on fuyait Trieste (…).
« Tout comme Matisse, c’est grâce à une maladie que Ferit Iscan découvre les charmes et les plaisirs de la peinture. Il a dix ans. Sa mère lui offre une boîte de couleurs. C’est l’illumination. La richesse intérieure qui pousse tout enfant à s’exprimer trouve là son exutoire. De la couleur au bout des doigts, Iscan s’invente un monde à lui.
« À peu de temps de cette première découverte, c’est celle d’un modeste petit livre d’une collection que les éditions Gallimard publiaient à cette époque. Une petite étude sur Klee, de René Crevel. Les illustrations étaient en noir. Iscan avait les cadences d’une œuvre, ses rythmes, sa dynamique. Il lui restait à en inventerla palette. Mais le texte de Crevel donnait à l’œuvre de Klee une interprétation tout à fait personnelle qui alla droit à la conscience d’Iscan (…)
« Iscan ayant une clef, peut peindre selon ses propres élans. Ses premières œuvres s’ancrent dans l’histoire de la peinture. S’il tâtonne, il s’affine ; s’il regarde autour de lui, il enrichit sa propre vision.
« Dans le Paris de l’après-Libération, les choses vont vite. Les mouvements se succèdent, des groupes se forment, s’affichent, luttent pour leur cause. Iscan n’est point dans les rangs des clans, des chapelles, mais il suit l’évolution des batailles. Il conserve son indépendance tout en sachant regarder autour de lui. Il vérifie son écriture. De 1956 à 1958, sa figuration découvre ses propres rythmes, ses équivalences abstraites. Ce seront des ‘fusions naturalistes’ où l’on peut voir une très fortuite assimilation du goût affiché par l’époque pour une forme de paysage abstrait (Présences indéfinies). On évoque des maîtres comme Bazaine, Bissière, une certaine tradition de la peinture française faite à la fois de lyrisme et de tempérance, de rêve et de réflexion. Iscan bouscule un peu de l’ordre esthétique d’une abstraction qui ne peut le satisfaire entièrement. La figuration réapparaît, peu à peu, mais portée au tragique (Corps éperdus). C’est l’une des lignes de force de sa génération, et qui débouchera sur la ‘nouvelle figuration’. Mais sans doute ne sont-ce là que des coups de sonde dans un territoire dont Iscan cherche encore le sens profond, qui lui échappe. Comme pour se détendre, il sort d’une période expressionniste pour aborder une sorte de badinage. Ce sont les délicieuses variations de 1968 autour de Versailles (Suite Versailles). Une ligne baroque, inventive, qui déplace le site dans une sorte d’imagerie volubile, ardente et narquoise. Ce serait une version ‘pop’ du baroque. Une ligne musicale qui ne contredit en rien le passé de l’artiste, mais débouche curieusement sur un assaut de rigueur avec, en 1969, des images de ‘boîtes’ qui sont autant de boîtes à mystères (Les boîtes). Jeu d’esprit autant que recherche plastique. C’est par cette série de coups d’essai qu’Iscan aura bâti son monde. Et se sera trouvé. Le paysage devient bientôt sa préoccupation essentielle.
« (…) Iscan étant à Paris un déraciné, un émigré. Le Lot – en cet endroit traversé par la Dordogne -, ses onctuosités d’herbe, ses fluidités aquatiques, sa nonchalance aimable, ses grâces et sa noblesse vont le subjuguer (Présences indéfinies, Paysages).
« Dès lors, il va résolument, et tout simplement, planter son chevalet devant le motif.
« Sage en ses formules, modeste en son propos, il retrouve les secrets d’une grande peinture de tradition.
« En mûrissant, il rencontre cette extrême sagesse où l’on croise quelque chose d’oriental. Un sentiment de plénitude qui tient à une vision globale de la nature. L’eau, la terre, le ciel s’y fondent en formes harmonieuses, complémentaires. La pratique passionnée de la pêche à la truite et au brochet n’est pas étrangère à cette fixation. Et si, selon Bachelard, ‘tout être voué à l’eau est un être de vertige’, on peut dire qu’Iscan a grandement nuancé cette particularité sans la nier. Il a peint dans l’eau la liquidité même de la nature, sa vie profonde ; il a surtout intériorisé son discours plastique. Mais sans doute s’est-il aussi souvenu de la réflexion de l’aquarelliste du XIXe siècle Jongkind, qui disait ne pouvoir peindre l’eau qu’en s’y plongeant pour en éprouver la matérialité.
« Le pêcheur Iscan apporte au peintre cette nouvelle dimension de la nature vivante, rêveuse et riche en suggestions. »

Jeanine Baron. La Croix, 16 février 1988
« Les jardins d’exil de Ferit Iscan »

« (…) Même dans ses plus spectaculaires paysages, Iscan n’a, en fait, exploité qu’une seule rêverie méditative, liée à un besoin de permanence et de paix. À la manière d’un promeneur solitaire, il a creusé son propre chemin, guidé à la fois par une mémoire féconde et une sensibilisation extrême aux difficultés propres à son temps.
« Tous ses paysages s’enfoncent dans cette rêverie. Les frondaisons et les horizons brumeux ramassés, presque monochromes, évoquent un temps lointain où tout jardin, si vaste soit-il, ne pouvait être qu’un ‘jardin des délices’ et une terre de promesses. La nature tout entière se concentre dans une tension de guerre sourde. Et, dans l’opposition des forces : affirmation du bonheur, d’une part, prémonition du désastre, de l’autre, elle se fige dans son bouillonnement, comme dans un rêve contrarié (Paysages).
« Tout le travail d’Iscan se lie à cette contradiction entre l’aspiration au bonheur et à la menace toujours imminente de la destruction et de la mort. Le paysage, plus fantomatique et plus suggestif que réel, est le support de sa réflexion. C’est là qu’il essaie d’ordonner le temps du monde et celui de sa peinture. En vain, bien sûr. L’un et l’autre lui échappent.
« Il revient souvent vers le Lot et vers la Dordogne qui l’apaisent. Entre-temps, il remonte vers sa propre mémoire, ses paradis perdus, ses ateliers témoins de sa lutte. Les paysages éclatent. Il amasse les décombres et les met en boule, en motte, en tas (Les beaux déchets, Paysages compacts). Sous des toiles enduites d’ocres et de blancs empruntés à la grande tradition de la fresque, il enfouit et fossilise ses souvenirs. Une femme habite, de temps à autre, le territoire de ce combat du peintre : ses ateliers et ses peurs (L’atelier, Nus). Un squelette parfois signale la proximité de l’abîme.
« Interrogation sur la mort (Corps éperdus), l’art d’Iscan est aussi une interrogation sur la peinture elle-même. Dans ses changements brusques de manière et de ton, c’est sa propre capacité à maîtriser la matière qu’il remet constamment en question. Ainsi que sa quête d’une énergie toujours plus vive(…). En multipliant les angles de vue, il amplifie le caractère pathétique de l’œuvre. Ferit Iscan était né à Trieste en 1931. Il vivait en France depuis 1939. Sa peinture exprime aussi un chant d’exil. »

François Pédron. Paris Match, 28 mars 1986
« Un peintre au fil de l’eau »

« Quel que fût le cycle de sa peinture, Ferit Iscan n’a jamais cessé de nous parler des hommes, de l’homme qu’il était, découvrant l’univers, délivrant sans fausse honte ni vains éclats de voix le cheminement de ses émotions pour comprendre et nous entraîner dans les multiples splendeurs des espaces qu’il explorait. Son espace privilégié était l’eau vierge, l’eau qui coule mais qui ne s’en va jamais. Homme de constance (il aimait ce mot comme il aimait ‘pluriel’), artisan de la lumière, fou d’espace sensuel, sensoriel, Iscan haïssait la certitude. Il avait été un enfant surdoué des années 50 avant de goûter les âcres saveurs du silence mondain et de trouver, ces récentes années, une écoute attentive sur les autres continents. Il y a cinq ans, les Japonais avaient découvert Iscan, versant occidental de leur perpétuelle méditation ».

Yves Berger. Le Figaro-L’Aurore, 24 novembre 1984
« Iscan : le monde à son matin »

« Iscan, Italien de Trieste devenu Français de Paris (où il est arrivé adolescent) et fou du Lot, dont les merveilles le fascinent, Iscan expose depuis trente ans (il en a cinquante-trois). Tout ce qui compte de critiques, d’observateurs, de fervents d’art connaît et son nom et son œuvre : outre les paysages de la Dordogne, des natures mortes, des collages…
« Jamais de portraits. Jamais d’hommes et de femmes. Une silhouette traverse-t-elle une de ses toiles, une fois (peut-être la seule fois, voici trois ans…), elle est comme voilée, réduite à l’essentiel de son physique et quant aux traits de son visage, l’espace du tableau les a absorbés (L’atelier).
« Les quelques trente toiles qu’il expose aujourd’hui ne contredisent pas cette indifférence, d’apparence tranquille, à l’humain. Que découvrons-nous ? De tableau en tableau, des tas, des monticules, des cônes, des pyramides de papiers froissés (ou de bidons ou de bouchons …), tout un amoncellement, toute une superposition, toute une accumulation de matériaux (Les beaux déchets). Un fouillis ? Non, le contraire.
« Dans le fouillis, l’ordre est introduit. La rigueur même. Il y a dans ces décombres, ces déchets, ces rejets, une composition, une structure, peut-être ce qui reste d’un ordre ancien et s’il n’en reste rien, le peintre le met.
« Comment ? Par le jeu des couleurs dans la masse ainsi dressée. Iscan est un extraordinaire coloriste et la subtilité chromatique relève, chez lui, du grand art. Son pinceau pose et lisse (on pense à une caresse …) le vert, le bleu, l’orange, le rouge et le noir en touches si justes, si justement mariées, si justement avoisinées, qu’elles font la toile enchantée – et le ravissement du visiteur.
« Quel art de la couleur ! Quelle pudeur ! Chez Iscan, aucune violence, aucune agressivité, mais ce besoin obsessionnel d’une harmonie qui le pousse, avec les objets, à créer une forme et, avec les couleurs, à leur donner vie pour ‘nous donner à voir’ (Éluard). Les titres sont révélateurs : Structures de l’abandon, Ensemble et sous-ensembles… Grand assembleur de matières, Iscan, avec les décombres du monde, reconstitue le monde à son matin. »

Josette Mélèze. Pariscope, 9 juin 1982
« Iscan : les silences habités »

« Iscan poursuit, prolonge, approfondit sa quête non de la réalité définissable mais de son essence, de sa fragilité, de son perpétuel mouvement dans l’immobilité même. Quand il peignait des paysages de Dordogne, ces dernières années, ses toiles respiraient du flux lent des rivières, des palpitations imperceptibles des feuillages, des courbes et des moutonnements des reliefs, de ce silence, auquel le cri d’un oiseau, le déboulis d’un caillou, donne sa qualité (Paysages). En ce temps-là, Iscan envisageait de se chercher dans des figures, des personnages. Ils sont là, silhouettes féminines qui traversent l’atelier. Car le dehors est devenu le dedans. La verticale des murs, l’oblique des verrières limitent l’espace qui cherche à se prolonger au-delà des portes ouvertes. Dans l’ombre de cet arrière-plan, un corps nu de femme (Nus). Et ce corps se déplace, projeté dans la lumière, trace visible et multiple de la chair rose qu’équilibre la verticalité verte d’un philodendron. Dans le mouvement, l’espace est reconquis, les murs s’estompent, ce sont de vastes paysages qui se dessinent dans les instruments du peintre étalés sur la table à tréteaux. Les flacons, les boîtes, les pinceaux se fluidifient dans des profondeurs aussi embuées qu’un horizon. La matière devient diaphane, aérienne, gris bleutés, ocres verts ou blonds, avec quelques épaisseurs de pâte bleu, rouge, jaune, pour situer, dans la composition, l’emplacement de la palette ; avec le dessin à la fois précis et discret, du couteau à peindre inscrit dans un plan neutre (L’atelier). Sensible, sensuelle, la peinture d’Iscan n’impose rien. Elle invite, comme le sorcier don Juan imaginé par l’écrivain Castaneda à percevoir ‘l’existence d’autres mondes à travers les mêmes fenêtres’ ».

Evelyne Artaud. Arts magazine, 10 avril 1981
« Les paysages d’Iscan »

« Après le bouleversement qu’avait semblé apporter, dans le langage plastique d’Iscan, la concentration et la compression des paysages en masses minérales et végétales (Paysages compacts) (…), nous voilà revenus à une manière apparemment plus tranquille, plus sereine … moins dramatique. À ces paysages qui ne semblaient plus obéir qu’à des règles de nécessités intérieures, succèdent ceux-ci, plus ouverts et plus pénétrables … Pourtant ces paysages, de facture classique, ne cachent rien, contrairement à tout ce faux naturel qui s’étale actuellement sous le pinceau des peintres les plus mondains … ces images ne veulent rien nous ‘dire’ mais sont le médium d’une réelle sensibilité et d’une sensualité qui savent prendre des risques : celui d’abord de la banalité du sujet. Bien qu’ils nous semblent familiers, ces paysages nous entraînent, par la magie du rythme de leur composition et de leurs couleurs, dans un espace différent … celui du désir (Paysages). Sans nous heurter, sans jamais nous surprendre, ils nous renvoient à nos propres mythes paysagistes, à nos propres fantasmes de matière. En effet, l’enchantement naît des traces du plaisir du peintre pénétrant l’épaisseur de cette matière végétale, la richesse de cette lumière aquatique, la naissance de ces couleurs neuves, l’ivresse de cette présence au monde, au paysage, à la nature qui nous sont ici transmises. La peinture devient ici rêverie, produit d’un plaisir évident à peindre… »

Jean-Jacques Lévêque. Les Nouvelles littéraires, 2 avril 1981
« Ce sont des paysages gorgés d’eau (Paysages). Et, comme le rappelle Roger Grenier, citant Bachelard, ‘l’être voué à l’eau est un être de vertige’. Iscan, qui fut du carré des jeunes artistes épris d’aventure picturale, s’est, avec le temps, écarté des chemins de l’expérience pour l’affirmation de ce vertige où, au-delà du paysage, il se retrouve tel qu’en lui-même. Au demeurant, serein.
« Il affirme une peinture du retour aux origines, de l’intimité du corps avec la nature. D’où l’interrogation du fleuve : cette mouvance dans l’espace, qui capte le ciel et sa lumière, réfléchit le paysage qui l’encadre et le transporte en ses fantaisies, le dédoublant en le troublant, le soulignant en le fuyant. Étrange mariage que celui de l’arbre et de l’eau, qui creuse ses cavernes, ses caches et ses palais, polit ses miroirs et conserve la mémoire des hommes : ses célébrants. De ceux qui chantent le fleuve, Iscan est, aujourd’hui, le meilleur navigateur. »

Roger Bouillot. Le Quotidien du Médecin, 1981
« Iscan, l’alchimie du regard »

« (…) Il est encore élève aux Beaux-Arts quand il vernit sa première exposition, en 1955. Tout va d’ailleurs commencer vraiment très vite : « Une nature morte aux pommes et poires », d’un accent à la Jacques Villon, va lui valoir le Prix du Dôme, 150 000 F de 1956 et l’obligation de préparer une autre exposition l’année suivante à la Galerie de Ventadour, elle-même prélude à une exposition à New-York en 1958. À cette époque, natures mortes et intérieurs dominent son travail, les toiles étant très marquées organiquement (Natures mortes). On notera ensuite plusieurs années où les œuvres accusent une nette convergence vers le centre et un degré toujours plus important d’abstraction. De 1961 à 1964, un ensemble d’éléments végétaux va s’imposer de plus en plus à la vision de l’artiste (Présences indéfinies). C’est ensuite une période quasi expressionniste, où d’étranges créatures se meuvent dans des perspectives tronquées, et qui débouchent sur ‘Les âmes de cendre’ (Corps éperdus). On pourra parler d’un certain baroque à propos de l’exposition de 1967, la ‘Suite Versailles’ inspirée par des éléments d’architecture décorative Grand siècle (Suite Versailles) ; puis le cube sera prépondérant dans la toile (Les boîtes), la phase suivante plus axée encore sur la recherche, se signalant surtout par l’intégration d’objets à la toile : fragments de tissus, lunettes, tubes de peinture, etc. Aussitôt après, en 1974, les paysages sont la plus importante étape d’une quête incessantes menée depuis vingt ans (Paysages).
« (…) La fascination qu’exercent sur lui les rivières, la Dordogne et le Lot en particulier – et qui n’est peut-être que retrouvaille symbolique de la mer Adriatique de son enfance – sera à l’origine de cette étape sans doute majeure où pourtant l’esprit sans cesse en mouvement de l’artiste ne s’arrête ni définitivement, ni complètement. La même année, d’ailleurs, il réalise une admirable série de toiles consacrées aux grandes serres des horticulteurs, où s’illustrera certaine dualité fondamentale de la lumière et de ses reflets, des plantes et des feuillages, entre le net et le flou.
« (…) Depuis 1955, une trentaine d’expositions personnelles d’Iscan ont été présentées, à Paris et dans les principales villes de France mais aussi à New-York, Londres, Copenhague, Bruxelles. Il a obtenu le Prix de la Jeune peinture en 1961, le Prix des Onze en 1967. Depuis plusieurs années, il travaille (en dehors des paysages qui tiennent une place considérable dans sa vie et dans son œuvre) sur les figures et les nus (L’atelier, Nus).
« ‘Dordogne et autres rives’, ce sont 40 toiles d’un peu tous les formats, axées sur les paysages magnifiques d’une rivière du Quercy, mais aussi quelques peintures inspirées par l’Irlande, l’Espagne, ou d’autres rivières ou brouillards d’eau.
« On retrouvera dans presque toutes les œuvres cette focalisation double, constante depuis 1974 dans ce genre de toiles de l’auteur, les éléments flous voisinent avec des plans minutieusement détaillés, chaque toile étant une architecture où alternent des zones d’intensité optique différentes, la perspective traditionnelle y étant inversée, le gros plan étant au centre de la toile et situé plus loin, premiers et seconds plans étant plus ou moins flous. Iscan semble nous proposer une sorte d’alchimie forcée du regard et le résultat, littéralement fascinant, est d’amener le spectateur au contemplatif (Paysages). Ce qui échappe aux mots, c’est une prodigieuse harmonie à la fois romantique et naturaliste. Il y a aussi quelque chose des grands primitifs flamands dans les paysages d’Iscan. Il y a surtout qu’Iscan, depuis des lustres, invente une nouvelle figuration et qu’il n’a pas fini d’étonner ceux qui aiment la vraie peinture ».

Jeanine Warnod. Le Figaro, 3 octobre 1979
« Les paysages de Dordogne chers à Iscan ne s’étendent plus à perte de vue. Ils sont réduits, tassés, circonscrits sur une grosse pierre lisse (Paysages compacts).
« Que lit-on sur ces galets gigantesques où le végétal s’intègre au minéral ? Le fleuve serpente dans les prairies, des bouquets d’arbres bordent les routes, des cascades coulent le long des rochers. Le peintre insère aussi ses vallées dans des coques de navire, dans des feuilles de choux, les enveloppe dans du papier et ainsi les isole du monde. Dans ces linceuls naturels, Iscan exprime la solitude, l’abandon, le silence. »

Jeanine Baron. La Croix, samedi 6 mai 1978
« Par peur de se trouver enfermé dans un thème ou dans un genre, le rêve d’Iscan se démultiplie. Il ne cherche plus aujourd’hui le secret du monde dans des structures cubiques ou dans les jeux imprévisibles de collages. Mais dans des paysages. Sa poésie intimiste persiste dans des gammes de verts qui s’étalent à l’infini.
« De la transparence de la lumière à l’opacité des feuillages, les couleurs et les lignes dessinent de vastes perspectives. Tout semble décentré dans des amphithéâtres démesurés, construits à flanc de collines, comme à flanc de ciel : et tout semble arbitraire : la tâche bleue d’un ruisseau ; la convergence de lignes de fuite qui viennent buter contre la lumière ; la minceur et la raideur de la route, la tranquillité d’une vache, un alignement d’arbres, l’étirement d’un village (Paysages).
« Et chaque détail s’impose, non plus anecdotique. Mais précis et presque abstrait. À la manière de notations codifiées. Comme si Iscan voulait contraindre le regard à mesurer à la fois l’infini et le plus petit détail. Chaque miroitement fascine à la manière d’une sensation encore aiguë, mais pourtant déjà très légèrement fanée. Parfois un cadrage situe le paysage dans une transparence comme dans un reflet.
« Désespoir face à l’invisible et à l’insaisissable. Mirage, photographie illusoire, souvenir d’enfance au bord de l’Adriatique ? Iscan recompose l’univers. Sa brosse légère effleure l’eau. Et les touches souples et nostalgiques recréent inlassablement une musique fugace, entre la sérénité et le vertige. »

Jean-Jacques Lévêque. Le Quotidien de Paris, 28 avril 1977
« Quel extraordinaire paysagiste. Il a, d’un pinceau chinois par sa légèreté, distribué des atmosphères de douces brumes dans des perspectives amples, comme les aimaient les primitifs (Paysages). C’est une peinture suave et mystérieuse, douce et sereine, qui s’impose à vous sans tapage, parce qu’elle traduit une espèce d’évidence du monde visible. »

Le Soir de Bruxelles, 18 mai 1974
« Ferit Iscan : des empreintes mélancoliques »

« En 1947, au cours d’une longue convalescence, il découvre, adolescent, la magie des crayons de couleur. C’est une révélation qui va déterminer l’orientation de sa vie, une perpétuelle interrogation sur le mystère de la peinture.
« Une profonde admiration pour Klee va stimuler sa soif d’évasion par l’opération magique de l’art. Klee rêvait, disait-il, ‘d’une œuvre d’une extraordinaire envergure, englobant le domaine complet des éléments, du sujet, du contenu et du style’. En fait, il souhaitait réaliser ‘une alliance entre la contemplation du monde et l’exercice pur de l’art’.
« Ainsi Ferit Iscan multiplie ses points d’appui, de la nature morte fluide comme une empreinte dans un terrain inondé jusqu’au tableau-objet où la déchirure, les lunettes incorporées ou le simple signe chargé de lumière intérieure témoignent pour la poésie du temps. Son exposition à la Galerie Racines n’est pas d’une approche facile : il y a quelque chose de farouche et de triste dans sa manière de fixer sa vision des ‘Objets oubliés dans le souvenir’, de la ‘Prison élevée’, de ‘Lettre anonyme’ et du ‘Paquet du pauvre’ (Souvenirs fugaces).
« Il n’y a cependant pas de misérabilisme dans les œuvres d’Iscan mais une suggestion mélancolique de la destinée, de l’environnement obsédant, de la fatalité. Ses natures mortes sont imprégnées de la même eau grise aux nuances raffinées (Natures mortes).
« Deux œuvres nous paraissent résumer le flux et le reflux de l’inspiration de l’artiste : ‘Extension de lumière’ et ‘Le sommeil de l’aveugle’.
« Bref, cette exposition austère nous invite à réfléchir sur les voies secrètes de la peinture et sur le sens d’une création rigoureusement personnelle. »

Jacques Collard. Pourquoi pas ?, Bruxelles, 9 mai 1974
« De Trieste en Dordogne et de Klee en lui-même »

« Le papillon est-il sortie de sa chrysalide ? Assurément. À travers des essais cubistes, débute cette aventure jalonnée d’expériences diverses – de thèmes divers aussi, celui des ‘Étreintes’ (Corps éperdus), celui de ‘Versailles’ (Suite Versailles) et j’en passe. Mais tout cela représente en définitive les phases d’une même démarche dont on ne peut certifier aujourd’hui l’aboutissement définitif. Car Iscan fait partie de cette famille d’artistes dont le prototype est Picasso, et dont l’appétit de création s’affirme dans une perpétuelle métamorphose. Artistes qui dynamisent une époque, mais qui déroutent absolument le sage collectionneur féru de ‘manières’ !
« Peintre d’écriture, ou peintre de couleur ? Cette distinction ne s’applique pas à cet outsider. D’abstraction ou de nouvelle réalité ? Termes incongrus que ces étiquettes devant une peinture qui doit autant au monde intérieur de son créateur qu’à un environnement dont Iscan affirme à maintes reprises qu’il est lié indissolublement à son œuvre. C’est cette présence nécessaire de la nature qui le détermine à vivre en Dordogne, dans ce domaine voisin du gouffre de Padirac (et, partant, de Lascaux et des Eyzies), domaine qu’il aménagea de ses mains, dans les causses de Gramat, et qui a nom Courtemassole.
« En mène-t-il pour autant une vie de loup sauvage ? Oh non ! Timide peut-être, mais cordial et aussi ouvert à l’homme qu’à la nature, cet être d’amour universel n’a rien d’un solitaire (…)
« ‘Je cherche la ligne idéale qui sépare la terre du ciel’, déclarait-il un jour. Propos éclairant chez cet artiste pour qui la peinture fut toujours un engagement total, aussi éthique que plastique. »

Christine Gleiny, Galerie, juillet-août 1972
« Le nu aujourd’hui », entretien avec Ferit Iscan

« Au préalable, il n’y aucune raison particulière de donner au nu plus d’importance en tant que volume, qu’une carafe, cependant le contenu émotionnel d’un corps nu peut influer sur le comportement du peintre, et, à un degré différent, sur le spectateur. Il y a toujours dans les questions générales la notion du particulier qui détermine les données d’un problème, or les peintres sont essentiellement des individualistes. Le nu en tant que véhicule permanent, aisément identifiable, permet au spectateur un facile transfert au niveau qualitatif et imaginatif. Dans la vie quotidienne je n’ai jamais vu une jolie femme nue nonchalamment étendue sur un canapé avec une rose à la main.
« Il faut pour déterminer une action de peinture, que le choc se réalise à mon insu et non que je le fabrique. Dans les toiles où je traite du corps humain, il y a une action (d’amour ou de mort). La notion d’érotisme peut être la conception même d’une œuvre ayant des corps comme support. C’est un moteur particulièrement actif, mais en même temps assez perfide. Le nu, en tant que tel, ne me semble pas le véhicule idéal pour transporter Éros à sa plus haute intensité.
« Si j’ai devant moi une jeune femme qui transmet des pulsions érotiques, j’ai envie de faire tout autre chose que de la peinture. Après, cela peut devenir quelque chose de positif. On peut faire quelque chose qui procure une pulsion érotique, mais on ne peut pas, en partant d’une pulsion érotique, la restituer (et surtout pas la transformer, ce serait dommage). Il y a une beauté flagrante dans cette émotion qui appartient en propre à celui qui l’a ressentie.
« Quand j’ai essayé de ‘peindre un nu’, je n’y suis jamais parvenu. Je peins à travers un nu, au moyen d’un nu, ou grâce à un nu (Nus).
« L’ambiguïté de l’émotion procurée par la vue d’un corps nu, se situe avant ou après l’action et à un niveau épidermique différent pour le peintre et le spectateur (et encore différent pour une spectatrice). Pour moi le combat singulier que l’on livre à la matière se situe quand même davantage au stade du concept que celui de la vision. »

Geneviève Breerette. Le Monde, 20 octobre 1971
« Chez Antoinette Mondon, voici de nouveau Iscan avec une suite de toiles récentes. Ces œuvres apparaissent comme le fruit de la lente maturation d’un art qui, à travers des voies souvent détournées, s’est de plus en plus éloigné du monde des apparences pour se concentrer sur des images mentales (Les boîtes). Le propos déjà contenu dans ses expositions antérieures n’avait jamais été tenu d’une manière aussi concise. Les constructions orthogonales sont devenues épures géométriques, les masses de couleurs rares, brossées avec une extrême sensibilité, ont absorbé la quasi-totalité des signes plus ou moins évocateurs de la réalité. Le dessin et la couleur, le géométrique et l’informe, le déterminé et l’indéterminé, la transparence et l’opacité, le tangible et l’impondérable, le dehors et le dedans sont les termes contradictoires de ce langage pictural motivé par un besoin profond de signifier une réflexion quasi philosophique sur la nature des choses. »

Jean Bouret. Les Lettres françaises, octobre 1971
« La nature est-elle matière inerte ou matière vivante ? Cela demanderait à être plus défini peut-être. Les couleurs qui déterminent cette nature sont neutres, des gris, des blancs, les expressions sont traces, nuées griffures. Une sorte de méditation ou de rêverie, dans un luxe de raffinements, sûrement plastiques (Les boîtes). Et c’est ce qui nous attache à Iscan, cette volonté de garder la peinture en son état de description des surfaces, des volumes, des lignes, en son état de support du rêve et de la réflexion. Peut-être est-ce aussi ce côté art anachronique par rapport aux glapissements du non-art, à la littérature de l’art conceptuel, à la misère de l’art pauvre. Une moraine oubliée par le glacier de soixante-et-onze, mais belle en son éblouissant graphisme retenu. »

Daniel Maybon, Paris-Match, 27 juin 1970
« Poursuivant ses rêves, laissant l’imagination vagabonder tout en la contrôlant constamment, caressant ou évoquant une forme d’une arabesque souple, faisant jaillir à tel détour de brosse une couleur qui chante inopinément (Souvenirs fugaces). Sa peinture ne vient pas du bon faiseur. Elle porte l’empreinte d’une personnalité peut-être un peu secrète, car l’artiste est timide. Impossible de lui faire endosser un uniforme ou de lui coller une étiquette. À son propos on parle de ‘nouvelle figuration’. Pourquoi pas ? Cette figuration est nouvelle car elle porte sa marque. Et elle s’inscrit tout naturellement dans la trame de l’art vivant. »

René Barotte. Paris Presse l’Intransigeant, 16 juin 1970
« Tout cela est un curieux assemblage de couleurs et de formes, une fête intense de cadmiums, d’ocres, une façon particulière d’enfermer le monde dans des cubes, une angoisse aussi, comparable à celle d’un enfant poète qui voudrait capter le temps, l’arrêter, l’enfermer dans sa petite main ne fut-ce qu’un fugitif instant (Souvenirs fugaces). »

Philippe Caloni. Combat, 8 juin 1970
« De la critique »

« (…) Il s’agit, enfin, de poser intelligemment le problème du créateur (de l’artiste) face à l’Histoire de la création (de l’art). Je resterai, jusqu’à la fin de mes jours confondu devant le courage d’un peintre contemporain (j’ai dit peintre, et non pas faiseur de peinture) ; celui-là naguère, s’appelait artisan. Il n’y a plus d’artisan. Car c’est un artisan – un ouvrier – qui a fait le ‘Sourire’ de Reims (ou Moissac) et les artisans d’aujourd’hui sous-traitent avec les super-marchés. Les créateurs de formes d’aujourd’hui sont les derniers et authentiques artisans, parce qu’ils reprennent le vieux geste millénaire qui fit croire à l’homme – tardivement – le jour où il ‘découvrit’ Altamira et Lascaux, qu’il était enfin devenu homme.
« Les temps ont changé (…) Mais si tant est qu’en tout peintre contemporain réside un bout de Freud, un bout d’Einstein, un bout de Picasso, le problème de créer – encore – des formes paraît à l’étranger (qui, sur sa volonté, ou son instinct, ou sa passion, introduisant une relation avec l’œuvre, devient un amateur d’art) pratiquement irréductible.
« Je ne dis pas que Ferit Iscan résout ce problème, je dis qu’il tente de le résoudre, et que l’important n’est pas d’accéder à l’Everest , mais de tenter d’y accéder.
« L’érotisme tire de cette constatation la résonance par quoi il peut être un acte magique. Voilà Iscan, dégagé des pures questions de formes, face à l’être plastique dans qui s’introduit l’ineffable part de l’âme. Décrire la peinture d’Iscan ? Inutile et stupide. C’est là l’ouvrage de faux journalistes en mal de copie.
« Courez-y. J’ai dit que Ferit Iscan était ‘l’un des premiers peintres de sa génération’. Pour ce qui fut décrit plus haut, et pour un certain nombre d’autres raisons qui pourront vous être personnelles, je crois qu’il s’agit du premier peintre de l’heure. Et en ce sens, j’ai le sentiment d’avoir traité ‘de la critique’ ».

Jean-Jacques Lévêque. Les Nouvelles littéraires, 13 mars 1969
« Coups d’audace »

« En vouant sa série d’œuvres récentes à Versailles (Suite Versailles), Iscan ne trahit pas son style, sa personnalité ; il ne va pas non plus ‘à un sujet’ avec légèreté. C’est le sujet qui, naturellement, s’est imposé à lui, parce que sa peinture pouvait déjà laisser prévoir ces jaillissements de formes, ces envols suspendus dans l’espace et qui portent le nom d’anges parce que ce qui vole est encore mystérieux. Et tout cela frémit, remue lentement, comme dans un songe. Les perspectives sont écrasées, surprenantes ; on dirait une caméra qui fouille les angles, des étendues, l’espace. Oui, une caméra-stylo alerte, fine, fouilleuse, et qui cadre avec une rare justesse son sujet. J’aime qu’un artiste, aujourd’hui, ose adopter l’inactuel, le futile (mais est-ce vraiment si futile que cela ?), le passé révolu, la fête (surtout lorsqu’elle est triste), quand on nous assomme de messages et d’anticipation.
« Plus actuelle, c’est-à-dire plus directement vouée à une gestualité en dehors du sujet, le geste étant chez Iscan un facteur de dynamisme. »

Guillaume Fontane. Combat, 10 mars 1969
« Iscan ou le droit de peindre »

« L’un des phénomènes essentiels touchant l’art au XXe siècle est le suivant : la création a, peu à peu, épuisé son potentiel d’émotions primaires. Un peintre de génie et de notre temps ne pourrait guère, faisant poser un homme coiffé d’un casque d’or, retrouver le geste millénaire de Rembrandt (…) Reste que personne ne peut interdire à tout homme le droit à l’image : ni celui de la créer, ni celui de la contempler.
« La peinture demeure un moyen, parmi tant d’autres, de représentation. Ferit Iscan en fait un usage abondant. En peintre de la seconde moitié du XXème siècle, Iscan pose intelligemment l’équation propre aux créateurs de ce temps : une signification nouvelle – obligatoire. Non pas le fat souci de suivre une mode, au mieux de l’inventer, mais l’exigence constante d’assumer sa position propre par rapport à un environnement de nos jours incertain.
« L’exposition des dernières toiles d’Iscan à la Galerie 9 est primordiale parce qu’elle soulève une question – très actuelle – de vie ou de mort : le droit de peindre. À ceux qui suivent cet étonnant créateur, la présente exposition va – inéluctablement – soulever des problèmes de morale : cet éventuel retour à la ‘figuration’ annonce-t-il un retrait, une démission d’un peintre soucieux, jusqu’à présent, d’exploiter les acquis de l’abstrait, de la peinture-peinture ? Il est étonnant de constater qu’aujourd’hui, le signifiant prend aux yeux du voyeur qui ne sait pas voir, une signification sans rapport avec le signifié. La contemplation — la méditation —, plastique d’un carré noir sur fond blanc n’est, après tout, qu’intellectuelle. À l’intellect, Iscan ajoute la sensualité. Et quand l’intelligence et la sensualité s’accouplent, l’enfant s’appelle Beauté.
« Iscan, qui a navigué dans les eaux dangereuses du pur formalisme, s’est découvert un plaisir inédit à la contemplation du baroque (Versailles, chevaux ailés, lyrisme) (Suite Versailles, Souvenirs fugaces). C’est alors – alors seulement – que le problème de la peinture n’existe plus. La somptuosité déborde sur son objet même, la peinture est magnifiée, grandie. Bêtement, sur des fonds brossés selon la plus grande science de l’esprit, se dressent des figures classiques, réinventées. La peinture devient joie, amour, religion.
« Dans les toiles d’Iscan se confondent le romantisme, la modernité, l’intelligence, et la peinture. Où est la création ? Iscan répond, comme peut d’entre nous n’osaient l’espérer. Iscan s’affirme, dès lors, comme un des plus grands – le plus grand – peintre de ce temps. »

Philippe Caloni, La Galerie des arts, 17 février 1969
« Mon cher Ferit,
« Lorsqu’il y a deux ans je vous ai appelé ‘le dernier des romantiques’, les ‘amateurs d’art’ qui pont daigné se pencher sur vos travaux et sur la modeste critique qu’is avaient inspirée, se sont soudainement divisés en deux : d’un côté, ceux pour qui, dès lors, j’étais un sinistre crétin, de l’autre, ceux qui, avec un rien de tendresse, m’ont vu atteint de sénilité précoce (…).
« Pour vous dénier l’expresse qualité de ‘romantique’, il faut, soit méconnaître l’exacte étymologie du terme, soit – c’est plus courant et c’est plus grave – ne pas savoir regarder, c’est-à-dire comprendre, c’est-à-dire être intelligent (du verbe latin intellego = je comprends). Il est vrai qu’il y a deux ans, l’approche – notre approche – de votre romantisme, pouvait à quelques-uns sembler ardue. C’était oublier Delacroix,
Baudelaire, Wagner. Mais vos ‘corps perdus’, ‘foudroyés’ d’amour, de vie, de mort (Corps éperdus), dont les combats, l’angoisse, la douleur exaspéraient notre routine et notre lâcheté, laissaient, à l’évidence un trouble dans nos cerveaux pourris par la sclérose et la culture (voilà deux mots presque synonymes). Iscan, c’était quoi ? L’aigreur perdue ou une fantastique tendresse à l’égard du monde (vous avez remarqué que je dis ‘monde’ et non ‘cosmos’). Pour moi, le cosmos, c’est un vieux rêve que trois hommes, aux alentours de Noël, ont violé courageusement, et non ce mot confus, trouble, talisman des critiques d’art en mal de copie. Ces toiles, de toute façon, venaient à point dans la chronologie de votre pensée, car au stade végétal et minéral, succédait le règne animal (Présences indéfinies). Et voilà l’homme pétrifié, fruit des amours très licites de Hamlet et de Tristan (celui de Wagner), de Mignard et de Paul Klee.
« Je sais qu’il est difficile en 1969, 70, 71 (à suivre), de mener à bien et sur les mêmes sommets, la double réalisation des concepts moraux et des problèmes d’ordre purement plastique. Si les toiles que vous allez exposer sont d’une importance extrême, c’est qu’elles combinent la beauté, la grandeur, l’intelligence, plus notre temps. Vous m’avez dit (…) peindre avec un rare bonheur, libre de tout carcan, de tout détour et de vaines tentations. Je vous le répète, et Kandinsky l’avait dit avant moi : ‘Alles ist erlaubt’ (tout est permis) sauf de perdre la pureté. Vous ne craignez même plus d’être taxé de réactionnaire, parce qu’en contrepoint des grandes orgues structurées qui tissent superbement le fond de vos toiles, vous avez introduit des motifs dont la grandeur – et en même temps la grâce – sont empruntées au siècle de Versailles (Suite Versailles) (…).
« Autre chose. Dans cinq ans – dix peut-être – vous serez le ‘premier peintre de notre génération’, on défilera devant vos œuvres à l’Orangerie. Mais croyez-moi, à 400 000 crétins il vaut mieux préférer trois dizaines d’amoureux de la peinture qui n’attendent pas pour profiter de la chance inespérée que vous leur offrez, que le pont de l’Alma soit démoli puis reconstruit (…). À bientôt j’espère, si votre Norton vous mène, d’aventure, dans les parages de ma tanière ».

Pierre Mazars. Le Figaro littéraire, 17 mars 1968
« Iscan : du meilleur baroque »

« Iscan, distingué par plusieurs jurys, dont celui du Prix des Onze, n’avait pas exposé depuis deux ans. Les toiles qu’il montre à la Galerie 9 ne sont pas infidèles à l’esprit de la ‘Nouvelle Figuration’, à ces personnages à demi effacés sur un fond compartimenté en frottis, en à-plats, en diverses recherches de matière. Mais ils renoncent aux visages énigmatiques ou inquiétants, aux gnomes fantomatiques pour s’inspirer des amours du dix-huitième siècle, des phaétons et des quadriges du Carrousel et du Grand Palais (Suite Versailles).
« Versailles, Venise, Paris : le point de départ est classique. Mais Iscan brasse ces éléments dans un tourbillon rococo qui ne laisse que deviner le sujet, comme à travers une vitre embuée. Le thème du miroir est, d’ailleurs, repris souvent. Une peinture piaffante, élégante, parfois se dérobant, avec une aristocratie un peu dédaigneuse derrière des nuées de volutes. Du meilleur baroque.

Philippe Caloni. Pariscope, janvier 1968
« Lettre ouverte à Iscan »

« ‘Je vais vous l’apprendre, monsieur, tout s’en va parce qu’il n’y a plus de morale’. André Malraux (‘Journal d’un Pompier du Jeu de massacre’, 1921).
« Mon cher Ferit,
« Six mois à peine après votre exposition chez Antoinette Mondon (Corps éperdus), vous voici de nouveau sur les cimaises d’une galerie parisienne, mais une galerie de la rive droite. C’est là juste conséquence du prix que vous venez de recevoir, le Prix des Onze (…). Vous allez connaître le XVIe arrondissement, synonyme, de nos jours, de la Puerta Del Sol ou des Ramblas de Barcelone. N’importe qui ne peut pas, sous prétexte d’un portefeuille bien garni, acheter de vos œuvres, car ces dernières se méritent. Elles sont l’aboutissement d’une longue pénétration du phénomène de la création, le palier supérieur d’une intelligence vive, tourmentée, exigeante, à la limite du mysticisme. Tout est affaire de morale et cette dernière fout le camp, comme le souligne la phrase en exergue tirée d’un ouvrage inconnu de Malraux, typique de sa période farfelue, celle-ci injustement décriée au non de ces grands mouvements lyriques que sont ‘La Condition humaine’ ou ‘L’Espoir’. C’est dans Klee que vous a été révélée une certaine forme de farfelu, mais aussi la grandeur, la conscience, les frontières de soi-même.
« Mais votre œuvre reflète le souci de savoir si le bonhomme Iscan cache un ventre de peintre, à la mesure d’un monde où tout est confus, déraisonnable, futile. Soyez sans crainte. La peinture vous colle à la peau, vous pénètre, vous êtes la Peinture.
« Désireux de détromper les apparences, vous débusquez les êtres et les choses pour mieux en donner un aspect contradictoire (mais de quoi ?) et malgré tout tangible, défini. C’est un peu, en plus tendu, la démarche féroce d’un Jérôme Bosch, et si la chair vous obsède, et le cadre dans lequel elle s’inscrit, c’est que, mieux que personne, vous les savez fragiles, à la merci d’un fou, d’une erreur. Alors vous reconstruisez le monde et son visage, vous greffez sur la toile (opération sans rejet) le cœur même de la création. La peinture est un sacerdoce, mais pour vous c’est un apostolat. Malgré les infidèles, les athées, que toute époque de progrès suscite, vous croyez à la peinture. La foi, à ce niveau, relève du miracle.
« Mais comme l’expliquer à des gens pour qui l’art commence à Bouguereau et s’arrête à Brayer ? Plus que jamais, dans vos toutes dernières toiles, vous refusez la facilité, la concession. L’art n’est pas pour vous le temps des cadeaux. Ce que je vous écris là, dix critiques auraient dû le faire bien avant moi. Sans doute attendent-ils que les grands et petits palais vous ouvrent les portes de l’hommage, orné d’un ruban rouge et de toutes les fleurs du panégyrique. Pour ma part, j’ai toujours, sur le plan de l’esprit, détesté faire attendre les gens. À votre sujet, je n’ai pas le sentiment d’être en avance, mais à l’heure ? »

Philippe Caloni. La Galerie des Arts, 1968
« Iscan. Si Versailles m’était conté »

« ‘La critique’, disait mon oncle, barde breton, ‘se fait à coup de superlatifs’ (…) Aussi n’ai-je guère de difficulté pour proclamer, bien haut, aux peuples (français et autres) qui m’écoutent et qui n’y comprendront jamais rien, que Ferit Iscan a été, est, sera l’un des plus grands ‘peintres’ de ce temps. J’ai mis peintre entre guillemets car la peinture, ces derniers temps, aurait tendance à se dévaluer et l’on assiste, tous les jours, à une Offre publique d’Achat de la peinture par le ‘Zizi’. On sait ce qu’il en est des O.P.A. Iscan ne calcule pas, Iscan invente, imagine, versifie sur les avenues de la beauté. Son chemin ne passe pas par Damas, ne mène pas à Rome ; mais à l’une des expressions les plus tendues, les plus grandioses que notre siècle ait engendré. Ce n’est pas pour rien que Paul Klee lui a servi de nuit ‘pascalienne’. Mais chez Iscan, aucune référence possible, sinon à lui-même. Créateur authentique, Iscan conduit sa symphonie dans la plus grande des sérénités. Aux termes d’une équation personnelle (architecture, lyrisme, intelligence, romantisme, humanité) déjà fort élaborée, Iscan apporte une proposition nouvelle, l’étendue magique du classicisme. Sur des fonds somptueusement modernes, Ferit Iscan dresse la grâce et la grandeur de Versailles (Suite Versailles). Et la modernité, chacun devrait le savoir, c’est peut-être Versailles. Sûrement pas Sarcelles. Pour moi, elle a le visage de la peinture d’Iscan. »

Guy Weelen, Les Lettres françaises, 1er juin 1967
« Iscan est de ceux qui ne se contentent pas de décrire un espace. Il le triture, le torture quelquefois et lui imprime la force de son émotion. Puis bousculant tout, il lui advient de nier dans telle toile, ce qu’il a élaboré ailleurs. Avec autorité, il met en exergue ce qui le frappe, ce avec quoi il se bat, afin de varier les résonances et de situer les divers champs de perception.
« Iscan restant fidèle à l’objet, la difficulté apparaît quand le peintre tente de le placer dans un espace irrégulier. Puisqu’il met le corps humain tout particulièrement en cause, il se doit de le manipuler, de le disloquer (Corps éperdus). Ainsi les déformations qu’il impose à son modèle sont justifiées, plus elles sont indispensables. La forme et l’espace vivent en harmonie. De toile en toile, se précise son dessin : la mort étant probablement la délivrance de la perpétuelle angoisse de l’incommunication, la rage de l’amour étant encore la grande recherche de la totale communication entre les êtres. »

Gilbert Gatelier. La Galerie des arts, juin 1967
« Les métamorphoses d’Iscan »

« Il y a toujours, dans une vocation d’artiste, une part plus ou moins obscurément miraculeuse. Chez Ferit Iscan, le miracle a sa petite histoire, qui du reste ne l’explique pas.
« Aucune prédestination particulière ne s’annonce entre sa naissance à Trieste (1931) et son arrivée à Paris (1947). C’est alors que le hasard joue : une maladie qui l’immobilise plusieurs mois, la rencontre tout à fait fortuite d’un livre sur Paul Klee. Et le déclic : bien que nullement préparé à la recevoir, Iscan se prend de passion pour l’œuvre de Klee et découvre en même temps l’activité dont il avait besoin, le dessin. Il s’y engage si avant que l’évidence s’impose très vite à lui, il doit devenir peintre.
« Aussi entre-t-il aux Beaux-Arts, comme il est naturel … Mais ce n’est pas sans chagrin qu’il se voit prié d’oublier à la porte le profond enseignement théorique de Klee, cette approche de la structure des choses, de leur raison organique, cosmique, voire métaphysique. Néanmoins, et tout en préservant une farouche indépendance, Iscan peut cultiver certaines qualités – sensibilité de la touche et de la couleur – qui mettent son œuvre en harmonie avec le milieu parisien. Des prix jalonnent sa progression : prix du Dôme en 1956, de la Jeune Peinture en 1962. Le voilà tout à fait lui-même, à sa maturité.
« Dans sa dernière exposition, en 1965, les toiles d’Iscan présentaient déjà une construction souplement rythmée par des orthogonales, mais d’une très vibrante mobilité en accord avec le papillotement lumineux des formes, avec le caractère principalement végétal de l’évocation (Présences indéfinies). Depuis cette époque, le propos se resserre, bien qu’orienté par une inclination romantique consciente. L’exigence intérieure se tend vers l’indispensable, dans une perspective d’attention à l’humain.
« Peut-être le souvenir des cataclysmes de la guerre, remonté comme une bulle inconfortable à la surface de la conscience, en est-il la cause. À l’intérieur d’un dispositif qui demeure permanent dans son principe, un espace cerné de plans plus ou moins construits en profondeur (une pièce si l’on veut), recoupé, cloisonné par des sortes de fenêtres, de compartiments, Iscan a d’abord installé les corps larvaires ou torturés de son obsession. Fantômes de la mémoire, disloqués dans la très belle série des ‘Âmes de cendre’, et qui s’élaborent librement à partir de l’émotion initiale, selon les nécessités propres du ‘fait pictural’ (Corps éperdus). Si le peintre, à la limite, a l’impression de n’être que le témoin ne s’interdit pas de donner libre cours à son instinct de coloriste né. D’où ces mortelles irisations, ces stridences dont la suavité, par contraste, accroît peut-être le caractère poignant des toiles. Il est remarquable que les premières esquisses d’Iscan soient souvent des études chromatiques, et il est heureux qu’il ne s’interdise pas de faire vibrer un accord ‘pour le plaisir’, accord chantant ou rauque dans l’extraordinaire dynamisme des œuvres sur le thème de ‘l’Étreinte’. Sensualité et mort s’y rejoignent comme dans les ‘Corps perdus d’amour’ pour lesquels le peintre a recherché un traitement distinct des nus féminins et des visages, isolés dans un cadre supplémentaire qui met en valeur leur architecture propre. De furieux combats se livrent où le rose balafré des chairs explose au milieu des bleus intenses. Plus violents encore sont peut-être les noirs, les orangés, les verts des petits formats, excellents raccourcis de l’œuvre, dans lesquels Iscan, ne voulant pas travailler à une échelle réduite, prend la main humaine, scrutée, déformée, reconstruite, comme prétexte d’un déchirant pouvoir de métamorphoser. »

Jacques Michel. Le Monde, 26 mai 1967
« Ferit Iscan le dit volontiers : il dit détester rester en place. Ce jeune peintre, qui n’a jamais cessé de chercher, de se chercher, ne va pas n’importe où et ne marche que très lentement. Il a mis deux années pour aller des transparences végétales et minérales, qui faisaient le centre même de sa peinture, à cette préoccupation nouvelle du corps humain (Présences indéfinies, Présences animales, Présences végétalesPrésences aquatiques, Corps éperdus).
« Avec cette écriture allant vers l’image, noyée dans une couleur qui fait nappe comme une eau picturale, le voici sur un autre registre plus violent, plus heurté, où transparaît une lutte, autant celle du modèle avec son environnement que du peintre avec lui-même. En changeant de thème, Iscan change la construction du tableau mais sa peinture reste telle qu’en elle-même sa déjà longue quête de l’infini l’a faite. »

Waldemar George. Prisme des Arts, 1957
« Les jeux de construction d’Iscan, ses mirages, ses charges, et ses châteaux de carte sont de chimériques géométries sensibles. Des solides de cristal qui ne reposent sur rien ou qui comportent d’imaginaires assises, flottent et s’insèrent dans l’espace aérien. Une ambiance presque diaphane désagrège les volumes et détruit, peu à peu, leur densité physique. Le peintre, ce magicien, défie en apparence les lois de l’équilibre et de la pesanteur. Il bâtit dans le vide. Ses merveilleuses architectures mentales excluent tout point d’appui. Mais ce jongleur qui est un rêveur diurne ne s’engage dans la voie des approximations et n’explore leur dédale qu’une boussole à la main. Le pêcheur d’ombres, le dormeur éveillé, les baladin lunaire se double ainsi d’un mathématicien, dont les calculs évoquent, dans certains cas, ceux auxquels se livrait Roger de La Fresnaye. Sans doute ses formes tangibles et l’atmosphère dont elles sont imprégnées appartiennent-elles au même système plastique. Mais le climat de songe que crée Iscan n’est pas celui de la peinture abstraite. Des nourritures terrestres, des objets témoins, des schémas et des squelettes d’objets attestent, croyons-nous, sa perception magique de la réalité. Ils existent réellement. Leurs proportions sont justes. Elles compensent en partie le caractère fictif d’une œuvre qui est, avant toute chose, poésie pure et illumination.
« Un peintre nous est né. Son style est une synthèse de ces antithèses : la fantasmagorie est le cartésianisme, l’art de plein air et le cubisme français, cette méthode que défend Jacques Villon, mais dont l’auteur est Villard de Honnecourt. »